Fragments

L'espace était saturé d'odeurs. Il venait de quitter la rue bruyante et ensoleillée, où la lumière éclatante contrastait violemment avec le couloir à peine éclairé à la bougie dans lequel il se trouvait maintenant. Ce passage suintait de mille effluves, comme si les murs avaient absorbé des décennies de souvenirs olfactifs. Il était fébrile, il hésita, mais il devait aller jusqu'au bout. Il le fallait.  La sueur aigre fut la première émanation qui le frappa. Il se souvint de cueilleurs de fruits, transpirant sous le soleil de l'été, ou était-ce la sienne ? Il réalisa qu'il transpirait à grosses gouttes, l'angoisse le faisait dégouliner. Il essaya de se calmer, pris une grand respiration qui le précipita dans une fête foraine. Une odeur de barbe à papa, parfum fraise. Un arôme de sucre et de fruit artificiel qui vous fait oublier celui du vrai fruit. Il sourit à cette douceur, mais elle s'évanouit bien vite.  Elle fut chassée par un relent de tabac, de cigare

Une histoire coupée court

Black rabbit of Wonderland


À la cour de la jeune reine, gambadait un lapin noir.
Ce lapin, espiègle et farouche, n’avait que faire des courbettes, ou de porter les accoutrements saugrenus que l’on voulait lui imposer.
Le lapin noir aspirait seulement à profiter du merveilleux pays où il vivait.
Malheureusement, il avait des obligations. 
La plus pressante d’entre elles : ne jamais, au grand jamais, être en retard.
Notre lapin noir, vêtu seulement de sa douce fourrure, sans gilet pour y glisser une montre à gousset, trouvait la tâche ardue.
Un jour, il fut si terriblement en retard que la jeune reine saisit une hache étincelante et trancha net son histoire, coupant court à son existence.
Depuis ce jour, au Pays des Merveilles, vous ne rencontrerez plus qu'un lapin blanc.
Ce lapin-là, bien différent, arbore fièrement des gants immaculés, un gilet distingué et, surtout, une montre à gousset.