Fragments

Offering for the Oracles

L'espace était saturé d'odeurs. Il venait de quitter la rue bruyante et ensoleillée, où la lumière éclatante contrastait violemment avec le couloir à peine éclairé à la bougie dans lequel il se trouvait maintenant. Ce passage suintait de mille effluves, comme si les murs avaient absorbé des décennies de souvenirs olfactifs. Il était fébrile, il hésita, mais il devait aller jusqu'au bout. Il le fallait. 

La sueur aigre fut la première émanation qui le frappa. Il se souvint de cueilleurs de fruits, transpirant sous le soleil de l'été, ou était-ce la sienne ? Il réalisa qu'il transpirait à grosses gouttes, l'angoisse le faisait dégouliner. Il essaya de se calmer, pris une grand respiration qui le précipita dans une fête foraine. Une odeur de barbe à papa, parfum fraise. Un arôme de sucre et de fruit artificiel qui vous fait oublier celui du vrai fruit. Il sourit à cette douceur, mais elle s'évanouit bien vite. 
Elle fut chassée par un relent de tabac, de cigare… le cigare de son père. Il fut submergé par ses souvenirs. Une voix grave lui résonna dans les oreilles, les critiques, les humiliations. Son cœur se serra. Il chercha autour de lui, le regard affolé, terrifié à l'idée de voir son père surgir de la pénombre. Il chancela, ses doigts tremblants faillirent lâcher son offrande. Il serra les dents. Ce n'était qu'une odeur, se répétait-il, un parfum de fantôme. Son père était mort, ce n'était qu'un souvenir, rien de plus.

A peine avait-il chassé ce spectre olfactif qu'une puanteur fétide le submergea, lui coupant le souffle. Une odeur de poisson pourri, tellement intense qu'il dut retenir sa respiration. Ce ne pouvait pas être son offrande. Son poisson était frais, il venait juste de le pêcher, tiré des eaux avec une fierté qu'il n'avait jamais ressentie auparavant. C'était le plus gros poisson qu'il ait jamais attrapé. Il avait su à cet instant qu'il pouvait enfin se présenter devant les Oracles, qu'il avait enfin une offrande digne d'elles.
L'air marin salé chatouilla ses narines lorsqu'il renifla son poisson. Non, cette puanteur ne venait pas de lui. Il reprit sa respiration avec précaution après quelques pas, tentant de chasser cette odeur immonde de son esprit. Chaque pas lui apportait de nouvelles senteurs. C'était une véritable bataille, où chaque odeur se disputait sa mémoire.

Comme un baume, une odeur de café chaud vint l'envelopper. Il pouvait presque voir les volutes de vapeur s'élever devant lui. Cette odeur le guida. Elle lui fit accélérer le pas, comme lorsqu'enfant, il se pressait pour apportait une tasse, chaque matin, au lit de sa mère, espérant la réveiller de bonne humeur. Il se souvenait de ses mains tremblantes, de sa peur de faire tomber une seule goutte. Surtout ne rien renverser. Sinon gare au premiers coups du matin.

La réalité le rattrapa brutalement. Le tournis le prit, et il faillit vomir. La pestilence était revenue, plus forte encore, comme une vague qui submerge tout sur son passage. Il avait atteint le salon des Oracles. La vision qui s'offrit à lui était cauchemardesque : un tas de poissons dévorés, éventrés, à moitié déchiquetés. Leurs viscères et leurs chairs s'étalaient sur le sol, certains morceaux grouillant de vers et de mouches. De dégoût, il recula d'un pas, serrant fortement son bon poisson bien frais contre lui, comme une bouée de sauvetage dans ce flot d'horreurs. Il devait se concentrer, se rappeler l'odeur de la mer, l'odeur du café. Ces deux odeurs étaient sa seule ancre dans ce chaos.

Il avança prudemment, ses yeux peinant à percer l'obscurité. Soudain, une nouvelle odeur, inconnue, surgit. Elle n'avait rien de familier, aucun souvenir ne s'y rattachait. C'était une senteur étrangère, dérangeante, et il ne pouvait en comprendre l'origine. Ses sens étaient en alerte, son esprit cherchant désespérément à donner un sens à cette présence invisible. Puis, elles émergèrent de la pénombre.
Les Oracles. Cette étrange odeur était la leur, aussi déroutante que leur apparence. Elles étaient là, enfin visibles. Enfin, il allait avoir ses réponses. Elles devaient l'aider.