Nathan s’était figé. Devant lui, aussi immobile, un faon. Aucun des deux n’osait bouger. L’un par crainte de briser cet instant suspendu, l’autre, prisonnier de sa peur. La magie de la forêt semblait avoir tissé un lien fragile entre eux, un fil invisible que le moindre geste risquait de rompre. Mais la magie ne se partage pas vraiment. Comment le pourrait-elle ? C’est une force brute, indomptée, et toute force impose un rapport d’oppression, fût-il inconscient. La magie dérange l’ordre établi, bouleverse la réalité. Celui qui la ressent comme une bénédiction ne voit que rarement le poids subi de l’autre côté.
Nathan ne voyait donc pas la peur dans les yeux de l’animal. Il était captif de son émerveillement. La magie avait tissé sa toile et l’avait pris dans ses filets. Il ne voulait pas sortir de ce cocon, il voulait en voir plus, en ressentir plus. Les esprits sombres n’avaient plus qu’à patienter.
Un craquement retentit, déchirant le silence comme un coup de tonnerre. Le charme se brisa. Nathan sursauta, et le faon bondit, disparaissant dans les ombres, loin de l’humain, loin du danger. C’était Alma, sa mère, qui venait de faire ce bruit en se frayant un chemin à travers les branches. Elle cherchait son fils, inquiète. Nathan s’aventurait de plus en plus profondément dans ces bois, ignorant les esprits sombres qui rôdaient. Alma voulait le protéger. Non, plus que cela : le garder bébé, emmailloté et dépendant. C’était un moment merveilleux, une magie d’amour. Ses souvenirs réchauffaient encore son cœur. Pour Nathan, cela avait été un long moment d’attente et de frustration. Dès que ses yeux lui avaient permis de voir le monde, il avait rêvé de le découvrir. Mais son corps n’était pas prêt, il avait dû patienter. Trop longtemps. Maintenant, il ne voulait plus attendre. Ses jambes, fortes et intrépides, avaient brisé le charme. Il ne voulait plus rester sagement à la maison. Il ne comprenait pas pourquoi sa maman avait si peur. Ne voyait-elle pas toute la magie autour d’eux, toutes ces choses à explorer ?
Et aujourd’hui, elle avait fait fuir le faon. Nathan ressentit une vague de tristesse mêlée de colère.
Quand Alma le retrouva enfin, elle poussa un soupir de soulagement. Mais elle le réprimanda aussitôt, sa voix tremblant d’une colère inquiète :
« Nathan, tu ne dois pas partir tout seul dans ces bois ! C’est dangereux. Maintenant, rentrons. » Nathan refusa net. Il en avait assez d’obéir. Cette fois, il voulait prendre le contrôle. Avant de partir, il avait volé la baguette magique de sa mère, qu’elle pensait bien cachée. Il la serra dans sa main. Une chaleur étrange monta en lui, une confiance qu’il n’avait jamais ressentie auparavant. Il se sentait puissant. Elle s’avança pour lui prendre la main, mais un éclair jaillit entre eux. Alma fut projetée violemment contre un arbre. La douleur la traversa comme une lame. Étourdie, elle se frotta l’arrière du crâne, sonnée. Elle dut s’appuyer contre le tronc pour se relever. Comment ? Son propre fils ? Nathan lui avait jeté un sort de repoussoir… mais comment était-ce possible ? Cette fois-ci, c’était une bonne punition qui l'attendait ! Elle tourna la tête vers la direction de son fils et hurla :
« Nathan, viens ici immédiatement ! »
L’enfant, tremblant de rage et d’excitation, s’était déjà enfui, les jambes à son cou. Il voulait retrouver le faon, mais avait aussi peur de la punition de sa mère. Son sort avait été plus puissant que prévu. Il courut sans s’arrêter. Nathan ne pouvait plus rebrousser chemin. Il voulait voir toute la magie de la forêt. Rencontrer les esprits, les animaux. Il avait malheureusement oublié une leçon essentielle : toute magie n’est qu’un pouvoir exercé par l’un sur un autre. Si vous n’en êtes pas le maître, alors vous êtes sa proie.
Un cri retentit dans les bois. Alma, encore loin, l’entendit. Son cœur se serra. Les esprits sombres avaient trouvé Nathan avant elle.