(suite du post "Un petit tour dans les bois")
Nathan se réveilla en sursaut. Tout était sombre autour de lui. Ses yeux cherchaient désespérément des formes dans l’obscurité, mais rien ne lui semblait familier. Où était-il ? Une odeur âcre, mélange de champignons et de feuilles en décomposition, emplit soudain ses narines, déclenchant un éclair de mémoire : la forêt. Oui, il était parti explorer la forêt, malgré l’interdiction de sa mère. Il se souvenait maintenant du faon. Il l’avait vu, mais oh… qu’avait-il fait ? Nathan sentit une vague de remords l’envahir alors qu’il revoyait la dispute avec sa mère. Et pire encore, le moment où il lui avait fait du mal. Il commença à sangloter. Plus les larmes coulaient sur ses joues, plus il culpabilisait : il avait été un vilain garçon. Il enfouit son visage dans ses bras et se recroquevilla sur le sol froid et humide. Il n’avait pas voulu blesser sa maman ; il cherchait seulement à partir à l’aventure. Rester enfermé à longueur de journée ne l’amusait pas, surtout quand les bois regorgeaient d’histoires et de créatures fantastiques. Il le savait : il ne pourrait plus retourner chez lui. Sa maman ne voudrait pas d’un vilain garçon comme lui. Il finirait seul, abandonné dans ce terrier. Les pensées tournaient dans sa tête telles des serpents, crachant leur venin et empoisonnant son cœur. Le silence l’écrasait. Nathan commençait à s’endormir de fatigue quand une voix s’éleva dans l’obscurité :
— Tu es réveillé, petit ? Tu as faim ?
Nathan se redressa d’un bond, les yeux écarquillés. Son cœur explosa dans sa poitrine. Qui avait parlé ? Il se souvint alors d’avoir couru dans les bois pour éviter la punition de sa mère et pour retrouver le faon qu’il avait aperçu. Puis il avait heurté quelque chose – une masse sombre – et était tombé à terre. La masse s’était relevée, et alors qu’elle se tournait vers lui, un crâne terrifiant était apparu. Nathan avait hurlé puis s’était évanoui. Le crâne, la masse… C’était un esprit sombre, une créature monstrueuse, un dévoreur d’enfants ! Sa mère lui avait raconté tant d’histoires effrayantes pour le prévenir… Pourtant il était encore en vie. Comment pouvait-il être encore en vie ? Et à qui était cette voix ? Il ne pleurait plus, mais restait figé de peur. La voix reprit :
— OK, si tu ne veux pas sortir, je te laisse un bol de ragoût ici.
Un fumet délicieux flotta dans l’air, chatouillant ses narines. Cette fois, ce ne fut pas son cœur qui fit trembler le silence, mais le gargouillement ogresque de son ventre. Il avait très, très faim. Guidé par son nez, Nathan attrapa le bol dans l’obscurité. Le ragoût était chaud et parfumé : champignons, navets, pommes de terre… Il mangea avec avidité, réalisant soudain qu’il n’y avait pas de viande. Un si bon repas ne pouvait pas être cuisiné par un monstre dévoreur d’enfants, pensa le petit garçon. Curieux, il décida de sortir de son trou. Il avançait prudemment, tenant fermement le bol pour ne pas renverser la moindre goutte.
Il émergea dans une clairière. La lune, haute dans le ciel, éclairait la mousse douce qui tapissait le sol. Les arbres semblaient envelopper le lieu avec leurs feuillages, comme pour le protéger des regards. Nathan sentit alors la chaleur d’un feu effleurer sa joue gauche. Il se retourna et aperçut deux silhouettes massives autour des flammes. Leur fourrure épaisse et sombre brillait sous la lumière du feu, et des bois de cerf dépassaient de l’une d’elle. Il eut un petit sursaut et poussa un cri effrayé à cette vue. C’est alors qu’une des bêtes se retourna vers lui et souleva le masque qu’elle portait, laissant apparaître un visage humain, mais étrange, comme déformé, un peu hideux. En voyant la grimace du petit garçon face à son visage, l’esprit rabaissa son masque et l’invita d’un signe de la main à s’asseoir près du feu. Tremblant, Nathan obéit. Il s’assit sur une souche et reprit son repas sans un mot. Les créatures reprirent leur discussion. Elles se racontaient des histoires de la forêt : ses secrets, ses merveilles et ses dangers. Nathan écoutait, captivé. Lorsqu’elles évoquèrent un jeune faon égaré loin de sa mère, il ne put s’empêcher de s’exclamer qu’il l’avait vu.
— Donc tu sais parler, dit l’une des silhouettes avec un sourire dans la voix. Nous pensions t’avoir fait si peur que tu avais perdu l’usage de la parole. Nous ne te voulons aucun mal, tu sais.
L’esprit commença alors à lui raconter leur histoire : comment ils avaient fini par vivre dans les bois. Persécutés à cause de leur apparence difforme, ils avaient fui leur village il y a des années et vivaient désormais en harmonie avec les animaux. Ils lui expliquèrent que leurs masques étaient faits de crânes d’animaux morts naturellement. Ils ne tuaient aucune créature.
À mesure que la nuit avançait, Nathan riait et frissonnait à leurs récits. C’était une nuit magique, l’une des plus belles de sa vie. Nathan avait hâte de pouvoir tout raconter à sa maman. Il eut un petit pincement au cœur… Peut-être pourrait-elle lui pardonner quand il lui présenterait ses nouveaux amis. Il n’y avait plus de raisons d’avoir peur de la forêt et des esprits sombres désormais. Nathan sourit en pensant à toutes les aventures qu’il allait vivre au milieu des bois avec ses nouveaux amis. Il était heureux.
Mais soudain, un éclair déchira la clairière frappant l’un des esprits, le projetant au sol et embrasant son manteau. La créature hurlait, se tordant de douleur, mais les flammes l’enchaînaient et le brûlaient vif. Nathan resta figé d’horreur. Avant qu’il ne puisse bouger, un deuxième éclair frappa son second ami, lui réservant le même sort. Nathan se retrouvait pris au piège dans un cauchemar de feu et de hurlements. Des bras l’entourèrent, le soulevant et l’emportant au loin. Mais les cris des deux hommes brûlés vifs résonnèrent loin dans la forêt et longtemps dans la tête du petit garçon.
Lorsqu’enfin Nathan émergea de sa stupeur, il reconnut une voix familière, celle de sa mère. C’était elle qui l’avait arraché de la clairière. Alma serrait fort son fils, tout en courant à travers les bois pour le ramener à la maison. Elle l’avait cherché toute la nuit, craignant le pire. Lorsqu’enfin elle avait retrouvé sa baguette magique que Nathan lui avait volé, abandonnée au milieu de la forêt, Alma put remonter jusqu’à la clairière des monstres. Dès qu’elle avait vu les esprits maléfiques autour de son fils, elle avait lancé des sorts mortels pour le sauver. Elle pleurait de soulagement :
— Mon Nathan ! Oh mon bébé, je t’ai retrouvé ! Nathan, j’ai eu si peur, j’ai cru que ces monstres t’avaient fait du mal. Oh, mon amour, tu n’as plus rien à craindre. Tu es sauvé, je te protégerai toujours.
Nathan pleura à son tour, comme il n’avait jamais pleuré. Non pas de soulagement, mais de douleur. La terreur le prit à la gorge et envahit son esprit.
Il ne retourna jamais dans la forêt. Ni ne prononça un mot, plus jamais.