A tire-d'aile

Return to Neverland"Welcome back" - Graphite, Aquarelle et crayons de couleurs - Novembre 2024 - @gentesia


Où était-elle passée ? Cela faisait une éternité qu’elle ne l’avait pas vue. Quand était-ce, la dernière fois ? Gwenn n’en avait aucune idée. Elle trépignait sur place, tournait en rond, cherchait dans les moindres recoins de sa mémoire. Elle faisait les cent pas pour remonter le temps. Elle avait beau remonter le fil de ses souvenirs, rien n’y faisait. Elle n’avait pas remarqué sa disparition avant ce matin. 

À force de ruminer, ses pensées tournèrent au vinaigre. “Quand m’a-t-elle abandonnée ? Qu’ai-je bien pu faire pour mériter ça ? Peut-être l’a-t-on kidnappée ? Et si elle était blessée quelque part, criant, pleurant, m’appelant à l’aide ? "J’aurais dû la garder près de moi, la retenir, l’attacher à jamais. Pourquoi ne l’ai-je pas enfermée, protégée à double tour ?” Un disque rayé tournait dans sa tête, déterrant dans son sillon ses angoisses les plus noires.


Gwenn se mit à fouiller son appartement frénétiquement pour trouver la moindre trace, le plus petit indice. Il n’y avait rien derrière ses livres, rien au fond des boîtes, ni dans les armoires. Lorsqu’elle retourna ses tiroirs, un couteau lui entailla le doigt. Elle resta un instant figée, hypnotisée par les gouttes de sang qui s’écrasaient sur le carrelage blanc, puis contempla le carnage de son appartement ravagé par son inquiétude. “J’aurais dû lui couper ses ailes pour l’empêcher de s’envoler.” Gwenn était au bord du précipice.

Aujourd’hui, elle avait tant besoin d’elle. Mais peut-être était-ce pour cela qu’elle s’était enfuie. Gwenn l’avait oubliée depuis trop longtemps. “Mais, je ne peux plus jouer comme avant, je dois faire comme les autres. C’est ce qu’on attend de moi. Être une adulte. Les autres, ont-ils aussi perdu leur âme d’enfant ?” Cette question la rongeait.

Elle voulait se rincer les idées, se rafraîchir la figure, noyer ses larmes et panser son doigt. Mais lorsqu’elle se retrouva face au miroir de sa salle de bains, fixant son visage gonflé de fatigue, une pensée lui mordit le cœur : “Peut-être a-t-elle trouvé une enfant plus sage, plus gentille, plus douce, plus jolie ?”


Gwenn s’effondra. Elle voulait retrouver son âme d’enfant, qu’elle réchauffe ses nuits avec des rêves fous et insouciants. Qui repoussera désormais les monstres tapis dans le noir ? Qui transformera un simple bâton en baguette magique, un carton en vaisseau spatial ? Qui bâtira des forteresses avec des chaises et des draps ? Qui lui soufflera des histoires pour remplir ses journées ? Calmera ses angoisses en inventant des jeux où les ombres se transforment en monstres sages, les fissures sur le trottoir en fil de funambule ?

Pourrait-elle encore sauter dans les flaques, se peinturlurer le visage et chanter à tue-tête des paroles sans queue ni tête ? Être un jour princesse, un autre chevalier, et le lendemain un fantastique bête ?

Gwenn commença à sombrer. Le désespoir l’envahissait. Elle s’apprêtait à renoncer, lorsque soudain un bruit, léger comme un battement d’ailes, la fit sursauter.


Elle bondit et courut dans la cuisine. Là, sur le comptoir, scintillant dans une traînée de paillettes, se trouvait son âme d’enfant. Coquine et effrontée, elle caracolait, sa crinière flottant au gré d’un souffle invisible, ses sabots tintant doucement. L’appartement était envahi d’une douce chaleur. 

Elle était revenue… à moins qu’elle ne soit jamais partie loin ?

Gwenn aperçut le couteau qu’elle avait laissé sur le comptoir.

C’était peut-être sa seule chance de la garder près d’elle. Définitivement. À jamais dans le creux de sa main et à portée de son cœur… Mais il fallait être prudente. Ne pas l’effrayer. Approcher doucement, la caresser, l’apprivoiser… avant de lui arracher sa liberté.